Après un premier EP aux accents soul en 2017, le bien-nommé “Smooth Radio”, et un accrocheur “Wha Gwann” il y a quelques mois, Eddy Ape est de retour ce 25 janvier avec la sortie de “Tweny Tweny”. Un 11 titres plus luxuriant et ambitieux, entre rap et chant (si cette distinction avait encore de l’importance) aux influences grouillantes et future, en duo avec Ekany, producteur de l’ensemble des titres. Avec la tête pleine de dreams, le smile, le fun, les filles, des wings et des sachets, entre autres, histoire de diagnostiquer au minimum une vue parfaite.
Si vous habitez à Bruxelles, vous avez sans doute déjà croisé Eddy Ape. “Eddy” pour Gordo, personnage qu’il goûte peu dans Tekken, et “Ape” pour le bonobo, dont le mode de vie jouisseur lui plaît beaucoup plus. En soirée ou en concert, il vous dépassait probablement d’au moins une tête et avait plus d’attitude que vous, large sourire en coin, multipliait les check divers et variés ou les bisous bien placés, capable de porter un t-shirt Iron Maiden et des fines dreads à peu près blondes par-dessus des lunettes vintage. Ou, comme le jour où nous le rencontrons dans les studios FlyFlyFly, un survêtement sous un long manteau façon fourrure de pimp. “La sape c’est super important! A la limite maintenant, il y a des gens qui se basent uniquement sur le visuel. Désolé de dire ça mais parfois, il y a des musiques qui puent la merde mais le visu est tellement lourd que je vais cliquer, cliquer et recliquer. Qu’est-ce qui fait ça? Le clip mais aussi la tenue, la prestance… c’est super important,” nous explique en riant Eddy Ape, en compagnie de ses acolytes Nando et Ekany.
Future quoi?
Biberonné à la variété française par sa mère et à la soul par son père, brandissant un amour illimité pour Henri Salvador, Eddy coche volontiers la case hip-hop pour définir sa musique, mais par défaut. Car là aussi, tout se mélange, surtout avec Ekany à la production, aussi rapide aux manettes que son propos est posé, lui qui a parcouru quelques continents avant de revenir à la “maison” bruxelloise. “Ca se retrouve dans ma musique, c’est une expérience que j’amène au studio,” ponctue celui qu’ils appellent le Black Buddha. “Il m’a impressionné,” enchaîne Eddy. “Grâce à Dieu, ou grâce au Bouddha (rires), le gars est arrivé et il te fait des prods de malade en quelques minutes. Moi, je suis derrière, j’écoute, parfois je l’arrête quand j’entends quelque chose d’intéressant et je commence à écrire… Ekany m’a permis de rajouter tellement d’éléments dans ma musique… comme des gros 808 qui tapent n’importe où dans la prod’ et qui me permettent d’avoir des flows un peu plus saccadés, cette touche future beat, trap mais pas trop, qui passerait dans un son où on pourrait aussi mettre des percussions africaines avec des rythmiques un peu plus R&B dedans…”
Tweny quoi?
“Ce que Ekany a pu ajouter au niveau de la musique, c’est aussi dans ma vision au niveau des lignes mélodiques,” précise le rappeur/chanteur, qui en profite pour expliquer le titre de cet album en commun. “Tout est en lien avec “Tweny Tweny”. L’expression vient de l’examen que tu fais chez l’opticien. Quand tu sais lire les petites lettres, on dit que t’as une vision parfaite. Le perfect eyesight en anglais, c’est-à-dire 20/20, soit twenty twenty, pour la distance de twenty feet de laquelle t’arrives à voir facilement (soit six mètres, ndlr). Et c’est rentré dans le langage aux States… dans le sens de vision absolue, d’avoir limite un 3e oeil… de voir ce qui n’est pas perceptible par l’oeil humain. Ekany, je le vois comme la personne qui m’a permis d’avoir une autre vision sur ma propre musique.”
La musique, je la mange; mes textes, ce sont des horcruxes
On croise notamment sur “Tweny Tweny” un Phasm et un G.A.N. (“le seul rappeur belge que j’écoutais”) en grande forme, Kin et Anakin, des tableaux Excel, des fleurs et des ananas, Snooki, beaucoup d’anglais, une femme de shérif que ne renierait pas Brigitte, un gros s/o à Isha (“avec son manager Stan, ils sont les premiers à m’avoir donné la chance de me crédibiliser”), et une musique futuremultiple pour une sorte d’ode à la joie pas béate pour autant. “La musique, je la mange; quand il y a un moment sans musique, je me sens mal. Mais pour moi, le moyen de la sublimer, c’est de rajouter des textes dessus, ma propre énergie, ma vision. Tu connais bien Harry Potter? Non? Haha! En fait, Voldemort arrive à rester invincible parce qu’il laissait des parties de lui-même un peu partout, on appelle ça des horcruxes… Le fait de laisser mes textes sur une instru, c’est comme si je laissais un peu de moi-même dans le son… c’est une façon de le sublimer mais aussi d’exister. Le texte prend une part plus importante sur certains sons que d’autres, Paradis de Sarah, par exemple, c’est celui que j’ai le plus écrit, c’est vraiment un film dans ma tête.”
Faire de l’argent, mais pour le fun
On croise d’ailleurs beaucoup les filles, parce qu’il est dans ta nana quand t’es dans ta jalousie mais “jamais de façon crue. Je préfère le subtil. Au plus c’est subtil, au plus ca va m’émoustiller. C’est un jeu en fait, avec les personnes qui m’écoutent. Imagine le truc le plus sale possible, la situation la plus torride avec une fille…moi, je vais mettre des mots qui n’ont rien à voir, super doux. Même si c’est un truc très trash, je ne vais jamais l’exprimer comme ça. Et à partir du moment où la personne comprend où j’ai voulu l’emmener, j’ai gagné. Et puis, il y a les petits cousins qui écoutent, ma mère parfois (rires)… Mais je reste fidèle à moi-même, je sais pourquoi j’ai commencé cette musique et ce que j’aime dire.”
Aussi rigolard dans le civil que sur disque, Eddy Ape a jeté son seum dans le canal. “J’ai vu trop de négativité autour de moi. Je me suis dit mais en fait la vie est plus simple que ça, si tu la prends avec le sourire. Moi aussi, j’ai vécu des trucs bizarres, comme tout le monde, mais j’essaie de tout prendre avec le smile; ça m’aide et je pense que ça se ressent dans ma musique. C’est ce que j’essaie de dégager, mettre de la joie dans tout ce que je fais… même quand je monte sur scène, j’ai envie de faire rire le public, je pose des questions, c’est presque un one-man show, on ne sait jamais ce qui va se passer. J’ai vu trop de gens qui se cassaient la tête, non seulement dans la musique mais aussi dans le business.”
Jeunes entrepreneurs
Business? La musique reste le pivot central de toutes ses activités et l’argent c’est pour le fun, mais le rappeur bruxellois formé à l’Ephec parle “rétroplanning” et autres anglicismes entrepreneuriaux quasi barbares avec un naturel pas si fréquent dans le game. C’est qu’il est calé en marketing et démontre le culot de sa génération, organisant les soirées BSMNT au Bloody depuis déjà quatre ans, à 25 ans à peine aujourd’hui. “On essaie quitte à tomber. On est tombés mais on s’est relevés et on a appris (…) On fait tout en solo mais il faut avoir des gens autour de toi qui se bougent, parce que dès qu’il y a un élément perturbateur dans une chaîne, si il y a une personne qui ne fait rien, tout le monde coule. Pour nous, non seulement c’est comme ça dans la musique mais aussi dans l’entrepreneuriat,” explique Eddy. “Je pense qu’on a eu la chance d’être une génération avec internet,” précise Ekany. “De pouvoir apprendre tout seul, de rechercher ce dont on a besoin… de se donner ce knowledge tout seul… aller chercher une info, c’est pas compliqué, on peut masteriser un son sur internet, on doit pas aller chercher des studios gigantesques… C’est aussi une question de cycle. La première génération arrive, elle casse des portes. Une deuxième derrière prend ce qui il y a, et après, les petits passent entre les jambes… Ils viennent tous, haha! Et puis le cycle recommence…”
“Maintenant, on est dans une médiasphère,” ajoute Eddy. “Internet a pris une grande place dans nos vies; les informations vont très vite, les données peuvent se récupérer très vite, les gens deviennent riches très vite. Tu peux percer par Instagram par exemple, les voies de la réussite sont plus nombreuses. (…) Mais quand je fais “Fun” sur scène, il y a 30 secondes d’intro où je parle avec les gens et Ekany. Et je lui dis que dans la vie, on a tous et toujours besoin d’argent. Il faut payer le loyer, nourrir les enfants, il faut de l’argent pour le matériel studio, pour tout… Mais pour moi, c’est pas dans le sens maintenant je vais m’acheter je sais pas quoi, une Lamborghini, j’ai de l’argent, je vais le montrer à tout le monde… mais pour le fun parce que je veux arriver à un stade où je vais m’épanouir dans la vie, juste y arriver, kiffer avec la famille, l’entourage, être posé… ça c’est un état d’esprit. Essayer de vivre dans la simplicité.”
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