« Combien tu touches ? 16 000 E pour dix minutes, non négociable » en une punch, Shay confirme une tendance bien établie : les rappeurs aiment annoncer leur tarif en musique. Car depuis quelques années, les showcases se sont multipliés. Autrefois réservés à quelques événements et grands noms, ils forment aujourd’hui un circuit parallèle aux tarifs parfois obscurs. Voilà pourquoi certains affichent la couleur, à des tarifs variables. Avant de booker votre rappeur préféré dans une Chicha de province, suivez le guide !
En 1998, dans l’un des plus célèbres interludes du rap américain, Jay-Z répétait avec une certaine insistance FUCK YOU PAY ME. Version hip-hop des Affranchis, ce skit en dit plus qu’il n’en a l’air. Vos rappeurs préférés veulent des sous pour leur travail et comme vous n’achetez plus leurs CD (leurs quoi?) et que le streaming paye pas toujours super bien, ça passe essentiellement par la scène. Concerts et festivals, où les tarifs peuvent varier de quelques milliers d’euros à quelques centaines de milliers pour des gros calibres, mais aussi par des réseaux plus alternatifs. Comme ces nombreux showcases de quelques poignées de minutes, en club ou dans des bars à chicha.
“Nique-toi, paye-moi, nique, nique-toi, paye-moi
Nique-toi, paye-moi, ni-ni-nique-toi, paye-moi
Ni-nique-toi, paye-moi, ni-ni-nique-toi, paye-moi
Ni-nique-toi, paye-moi, ni-ni-nique-toi, paye-moi”
Dosseh affiche bruyamment (et répétitivement) la couleur en 2011, avec une traduction très littérale de Jay-Z version Affranchis. Nique-toi: OK; Paye-moi: OK; mais combien? En 2015, dans “Où est le boss”, il affirme sortir “de showcase tel un king, grosse liasse dans la chepavo”. C’est déjà une indication mais d’autres sont plus précis.
Ceux qui annoncent
“J’ai dit : Ta gueule, j’brûle ta scène pour 400 balles »
Convok – Tu piges ? (2010)
Même en tenant compte de l’inflation et de l’indexation depuis 2010, c’est modeste: d’autres ont besoin de beaucoup plus (pour faire beaucoup moins, c’est ici le propos). C’est aussi symbolique d’une époque où le rap belge ne trustaitpas encore le haut de l’affiche et où les showcases étaient rares. Longtemps abonnés à l’entraide, au prêté pour un hypothétique rendu ou, plus problématique, aux prestations systématiquement non payées (ou si peu) parce que ça t’offrira de la visibilité, le rappeur a longtemps eu du mal à réclamer ses pépètes. Compréhensible pour un amateur en tout début de carrière, dans le hip-hop comme ailleurs, moins quand il faut attendre minimum “trois piges” (“Y a pas de live sans cash”, peut-on d’ailleurs entendre dans le même Tu Piges?).

“Tu veux me donner 2 000€ pour 45 minutes de show ? OK mec”
Caballero (& JeanJass) – Merci beaucoup (2016)
Rayon modestie, on retrouve Caballero qui ne demande pas beaucoup plus. Quoique, depuis 2016, il y a eu inflation, le cachet étant lié à la notoriété, n’essayez plus à ce tarif (au moins 10 fois plus !). On notera aussi la générosité en termes de temps investi. 45 minutes, c’est presque le temps d’un vrai concert et le double d’un showcase “classique”.

“Hey, j’viens dans ton showcase, gros, c’est pas moins d’cinq plaques”
PLK – Pas Besoin (2018)
En arrivant en France, les prix montent, mais tout cela reste raisonnable. En 2017, le tarif oscillait entre 10 et 70 000 euros (sans compter les frais supplémentaires de sécurité), selon le propriétaire du Pharaon, un club des Yvelines, cité par 20 Minutes. “Comme tous les clubs font la même chose, les artistes ont monté leurs cachets, c’est la loi de l’offre et de la demande”. Au site Slate, Thibault Ordonneau, chargé de production de la boîte de nuit Le Magazine Club à Lille, avance des chiffres plus précis: “Kendrick Lamar: 70.000 euros pour trente minutes. Future: 15.000 euros pour cinq ou six morceaux maximum, avec une bande-son qui tourne derrière. Casseurs Flowters et Joey Starr: 16.000 euros chacun.”

“Allez, va niquer ta mère, tu connais pas ma vie, nan;
Théorème de Pythagore, vingt euros de l’heure
Pour mettre à niveau les gosses qui fumaient d’jà du shit
Aujourd’hui, c’est huit mille euros vingt minutes ; quoi ?”
Vald – Rituel (2018)
Vald passe à 8 000 mais pour vingt minutes. Soit 400 la minute ou 24.000 de l’heure; ou encore une augmentation de 119.900% par rapport à son époque Pythagore. Là, on commence à parler. Et si les clubs sont prêts à mettre le prix, au-delà du fait que les salles de concert restent encore souvent fermées à nombre de rappeurs, c’est parce qu’ils s’assurent une publicité et une image, vendent des bouteilles avant et après l’événement et font vivre le lieu au-delà des DJ résidents pour un chiffre d’affaire intéressant. Le rappeur, lui, règle sa petite affaire en moins de 30 minutes, avec un minimum d’investissement. En gros, une clé USB, diront les plus sévères (souvent à tort).

“Dix-mille dollars quand on est en club c’est le minimum; 
Avant le concert, je mange dans ma loge”
Sneazzy avec Nekfeu – Deux-Trois (2015)
Sneazzy franchit la barre des 10… mais en dollars. C’est plus cool mais il y perd: traduisons en 8 500 euros + catering.

“J’fais du biz sans m’arrêter, j’n’ai pas de limites,
On ne fait pas déplacer Boulbi à moins de 10 000, de 10 000”
Booba – Boss du Rap Game (2010)
Booba dans le bien-nommé “Boss du rap game” passait déjà la même barre cinq ans plus tôt, mais en euros. En 2014, il nous rappelait encore au cas où que c’est “minimum 5 chiffres si j’viens” (dans “La Muerte leur va si bien”). En 2013, le patron du club D-Clic à Charleroi parlait d’ailleurs d’un tarif “exorbitant”, en plus des exigences plus ou moins annoncées par le Duc, comme des suites luxueuses et des voitures du même standing pour lui et son équipe. Dans la réalité, en dehors des clubs, c’est d’ailleurs beaucoup plus qu’annoncé, et on dépasse la barre des 100 000 euros pour un festival.

“On prend la grosse tête quand ça parle de soke,
Mets-moi 10 balles de côté pour le showcase”
Ninho – Comme prévu (2017)
Soit Ninho demande 10 (000), soit c’est vraiment pas cher. Heureusement (pour nous) il est plus précis dans “Mama no cry”: “Bois d’argent Dior, Invictus, pour 12 000 euros je chante 20 minutes.”

“Quinze par showcase, quatre par semaine, c’est pas les p’tits sous du daron”
Fianso feat Black M – Mort dans le Stream (2018)
2018, Fianso annonce 15, multiplié par 4, soit 60 (000) par semaine. Effectivement, c’est pas des p’tits sous. Le tour des chichas de province rapporte plus qu’un poste de délégué commercial.

“Toutes ces bitches veulent profiter d’ma mula,
20.000 euros le show sinon pas de show”
Hamza – By The Way (2015)
Sûr de sa légende alors que “La Sauce” commence à peine à tourner dans les oreilles les plus aiguisées, Hamza annonce la couleur: 20 000 sinon rien. On suppose que se placer d’entrée comme le plus cher était une manière d’imposer son statut et de commencer la négociation en position de force. Malin comme un Belge.

“P’tit showcase à 20K, à la Kim K, je ne jouis que du black, black”
Rohff – Hors de Contrôle (2017)
Par cette astucieuse analogie avec Madame West, Rohff (en plus d’être le plus cher avec Hamza) soulève un autre point important: le flou juridico-administratif qui entoure ces showcases, là où les scènes “classiques” sont soumises à un arsenal législatif. Thibault Ordonneau, du Magazine Club, précise ainsi à Slate: “Je pense que c’est encore moins le cas pour les chichas, mais nous, en tant que boîte de nuit, on a largement moins de contraintes législatives liées à la politique. Et c’est tant mieux, tant les factures pour ce genre de concerts sont souvent bizarres, avec une partie en cash, une autre par virement ou encore une autre à destination de promoteurs fantômes qui ne connaissent rien aux détails techniques, mais qui, à l’inverse, vont te proposer de les payer 5 000 euros pour que Booba vienne faire une apparition surprise dans ta boîte ou 10 000 euros pour qu’un groupe comme PNL, qui n’avait alors fait aucun concert, soit programmé.”
Ceux qui comparent
Grand habitué des showcases, Gradur annonçait en 2015:
“En une soirée j’me fais tout un mois. J’fais des showcases a la fin on me paye. J’fais tellement baiser mes potos qu’ils font fiers de moi.”
Gradur – Militarizé (2015)
Selon l’INSEE, “le salaire brut moyen en France, dans le secteur privé ou dans les entreprises publiques, est de 2912 €”. D’après Gradur, c’est donc plus ou moins ce que ça vous coûtera pour profiter de sa présence si vous gérez une Chicha de province.
Au petit jeu des salaires, la MZ en réclamait aussi un seul dans « LIDL », mais le tien, et plus rapidement (“T’compare pas, j’suis dans la ville en showcase. Je prends ton salaire en moins de deux”) et Koba La D en vise carrément trois dans le freestyle Couvre-feu (“La journée j’découpe deux plaquettes. En showcase je récupère 3 salaires”). Même le salaire de la bicrave rapporte moins à 13 Block dans A1 A3 (“Quelques yessaï et quelques showcases par mois. J’fais rentrer plus de biff que ton vieux four, crois-moi”)
Mais comme la vie augmente, Gradur nous informe que ses tarifs aussi. Ses mois ne sont pas les vôtres:
“10 balles pour t’enlever la vie, ta mort coûte moins cher qu’un showcase”
Gradur – Sheguey 12 (2018)

Au joyeux petit jeu du meurtre rémunéré, Fianso confirme d’ailleurs plus ou moins:
“On fait des showcases pour le prix d’un contrat”
Fianso – Bandit Salete (2017)
Ceux qui investissent
Et après, “qu’est ce que je vais faire de tout cet oseille?”,  l’argent, c’est bien, le dépenser, c’est mieux. Et de préférence, de manière responsable.
“10 000 balles le showcase et la moitié en cash;
J’ai craché mon cachet au Supreme Store Wouuhh”
Sneazzy – Amaru (2016)
L’avantage avec Sneazzy, c’est que tu peux le booker avec la certitude que l’argent que tu lui donnes sera intelligemment investi.

“Tous les week-end, j’suis en showcase, Tu t’rappelles l’époque où on galérait? Maintenant c’est 5 000 euros de shopping, Maman fait 5.000 euros de shopping”
Kalash Criminel – Enterrez-les (2017)
Deux fois moins de cash récolté et pourtant plus généreux. On va finir par croire que sous toutes les cagoules il y a du coeur.

“Couscous, mafé, tiep ou colombo, trois semaines de showcase je me paye un Lambo”
Mister you – You goslavie (2016)
On parle ici de 200 000 minimum, soit presque 70 la semaine. Encore mieux que Fianso. Derrière la frime en Lambo, on évoque effectivement un vrai business.Lartiste, Mister You, Alonzo, Jul, Gradur, Kaaris ou SCH, entre autres, tournent beaucoup dans les clubs et surtout les chichas. Pour le plus grand plaisir de leur portefeuille mais aussi des amateurs, qui peuvent s’enjailler avec leur rappeur préféré, dans leur ville, et à moindre frais. “La création en France de 900 chichas en quelques années a été une bénédiction pour nous. Tous nos artistes peuvent y jouer et des mecs comme Sch ou Alonzo y tournent tous les week-ends. Ça leur permet de gagner de l’argent,” expliquait Benjamin Chulvanij (le boss de Def Jam France) à Noisey en 2016.

“Prochain showcase j’veux qu’on m’paye en bitcoin wallet”
Hayce Lemsi – Emile Zola (2018)
Sans doute le plus visionnaire mais aussi le plus risqué. Si on peut supposer que le texte a été écrit fin 2017/début 2018, un Bitcoin valait plus de 16 000 euros pour “seulement” 6 000 aujourd’hui. Prenez ça les crypto-traders.
Ça pourrait ressembler à la ruée vers le roro et rien d’autre mais, comme dans les médias, le rap a surtout eu besoin de tracer son chemin en dehors des territoires installés pour s’assurer une visibilité. D’autant que la culture concert/festivals est récente dans le rap francophone, pour qui le club représente souvent un milieu plus naturel. Et puis qu’importe l’endroit, comme le dit Di-Meh dans “Guestlist”, “Khey, la scène, elle est à risques, tu veux un show? Paie le tarif”.

(La photo de couverture n’a absolument rien à voir avec l’article, mais c’est marrant)
*S/o au groupuscule « Roue arrière » pour certaines ref’
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