Ce 26 mars, la Nike Air Max fête ses 30 ans. Derrière ce modèle décliné à toutes les sauces et à des millions de pieds, une vision, une histoire, beaucoup de marketing et des collectionneurs en quête de paires iconiques et rares. Durant tout ce mois de mars, Nike a lancé avec plus ou moins de réussite des nouveautés ou des rééditions, avec en guise de point d'orgue ce dimanche la "VaporMax". Cap sur l'histoire de cette "sneaker" emblématique qui a su s'imposer et constamment se rhabiller, voire se transformer.
L'homme à l'origine de la Nike Air Max s'appelle Tinker Hatfield. Diplômé d'architecture et athlète (comme son père, coach de basket), il rejoint la firme américaine en juin 1981, à 29 ans. Pendant quatre ans, il dessine des bureaux et des magasins puis intègre le département "design", sans grand enthousiasme, et changera l'histoire de Nike et de la "sneaker" en général. On lui doit ainsi la Trainer 1, la Huarache, la mise sur orbite de la gamme Jordan à partir du modèle III (quand Michael Jordan menace de mettre fin à la collaboration avec Nike) et surtout la Air Max 1, en 1987. Un moment essentiel car l'obstination de Hatfield à imposer ses idées à contre-courant libéreront les designers Nike de leurs carcans, pour sans cesse faire évoluer la sneaker.
L'idée derrière la Air Max est simple: puisque beaucoup ne comprennent pas ce que signifie cette fameuse bulle d'air intégrée depuis quelques années à certains modèles Nike, pourquoi ne pas la rendre visible? L'histoire veut que Tinker Hatfield ait trouvé l'inspiration devant le centre Pompidou de Paris, duquel il pouvait voir, depuis l'extérieur, les escalators et les conduits d'aération dans des tubes... bref "les entrailles", entourées de couleur rouge. "Le terme de révolution est souvent galvaudé dans le domaine de la sneakeraujourd'hui, mais pour le coup, c'en était vraiment une," nous confirme Romain du Site de la sneaker. "Par rapport à sa construction et à son design. C'est la première fois que la bulle d'air était visible. C'était complètement atypique à l'époque, les chaussures étaient plus sobres et cet ovni a débarqué. Ca a vraiment été un gros choc."
Deuxième idée: au lieu de rendre l'unité d'air la plus fine possible pour faciliter la confection de la chaussure, prendre le contre-pied de la tendance générale en injectant le maximum d'air dans la semelle. Lors des premières discussions, l'équipe à la base de ce nouveau modèle parle de "maximum air" ou "Max Air"... dont le premier modèle en rouge et gris sortira le 26 mars 1987. Un faux-départ: la "fenêtre" qui rend visible la bulle d'air est trop large et celle-ci crève trop vite. Un défaut corrigé quelques mois plus tard.
"La Air Max apportait du changement et de nouvelles couleurs sans être trop bizarre," expliquait Hatfield au Guardian en 2012. "Elle n'était pas sur-designé. On pouvait la porter. Elle était dessinée pour savoir respirer, être flexible et jolie au pied, mais le fait d'avoir cette fenêtre sur la bulle d'air et la couleur tout autour la rendait différente. Et il était facile de la décliner dans d'autres coloris. Mais beaucoup de gens voulaient que je sois viré pour ce que j'avais fait chez Nike..." Chargé de redresser une marque alors en difficulté, Hatfield doit en effet faire face à beaucoup de contestations internes. Le soutien de Peter Moore, concepteur de la première Jordan, lui sera essentiel pour imposer son idée.
Hip-hop et gabber
La suite donnera rapidement raison à Tinker Hatfield, toujours actif aujourd'hui pour la marque. Conçue comme basket de "running", la Air Max s'impose surtout dans la rue. La jeunesse issue des classes populaires l'adopte, comme le mouvement hip-hop et, chez nous, la scène "gabber". "Chaque chaussure que je dessine a une histoire," affirmait Hatfield. "C'est ce qui plaît à tout le monde: l'histoire de la chaussure, son intérêt culturel, la technologie intégrée... mais j'ai été surpris de cet intérêt hip-hop, positivement surpris."

Après la Air Max 1, la Air Max 90 sera peut-être encore davantage présente dans les rues et les hangars européens. L'aspect "coussin d'air" est volontairement exagéré et la Air Max 90 devient notamment l'accessoire indispensable chez les "gabbers". Sa petite soeur, la Air Max BW ou "classique" connaît aussi un franc succès, suivie par la "180" et la "93", moins emblématiques mais plus avancées technologiquement. Avec cette dernière, la forme des semelles d'air n'est plus dictée par la pression de l'air insufflé mais directement créée avec la forme désirée.
Controverse partout
En 1995, arrive le plus gros bouleversement esthétique et technologique de la gamme, imaginé par Sergio Lozano. L'amorti d'air est visible tout autour de la semelle et la forme de la chaussure s'adapte pour ressembler à l'anatomie humaine. La forme évoque la colonne vertébrale et les muscles humains, et les matériaux utilisés sont censés représenter la peau, les côtes et les tendons. 

"Je me rappelais ce que Tinker Hatfield disait toujours quand on travaillait sur d'autres projets: OK, c'est une super chaussure mais quelle est l'histoire derrière?", expliquait Lozano en 2015. "Un jour, j'étais près d'un lac entouré d'arbres et j'ai commencé à observer le processus de la pluie qui érode la terre. Et j'ai pensé que ce serait intéressant d'imaginer un produit parfait qui ne subisse pas d'érosion." Afin de minimiser les apparences de saleté, de boue ou de terre avec l'usage, Lozano opte alors pour un dégradé de gris, même si on lui affirmait que cette couleur ne se vendait pas bien. Le signe Nike (le "Swoosh") en jaune fluo est lui aussi remis en cause. Le premier prototype n'avait d'ailleurs pas de "Swoosh" du tout, pour finalement se retrouver à un endroit non conventionnel et discret afin de ne pas détouner l'attention. "Du design à la couleur du Swoosh, tout était sujet à controverse," racontait-il. 

Au milieu des années '90, la mode est au basket-ball, y compris dans les sneakers. Le défi est ardu et le pari est osé. "Il y avait ceux qui adoraient et ceux qui détestaient. Mais tu sais que tu as quelque chose de spécial quand tu provoques ce genre de réactions émotionnelles," expliquait Lozano.
Chasse à la Air Max
Des rappeurs américains comme Gucci Mane, Danny Brown ou The Game y feront référence durant les années 2.000 mais c'est d'abord l'Europe et l'Australie qui en tomberont amoureux, et surtout le Japon. A tel point que le pays, d'ordinaire plutôt calme, connaîtra des vagues de "chasse à la Air Max", des porteurs de la précieuse basket seront dépouillés et des contrefaçons se multiplieront. 

Deux ans plus tard, la 97 va encore plus loin: l'amorti prend toute la semelle, en une seule pièce et à 360 degrés. Le modèle "Silver Bullet" fera des étincelles, particulièrement en Italie où il sera très prisé.
Requin
En Europe, la TN, alias la "requin" avec son originel dégradé bleu et blanc, sera la plus prisée par la jeunesse populaire, au point de se voir traiter péjorativement (pour les baskets mais surtout pour les porteurs de celles-ci) de chaussure de "racaille"... Agressive et onéreuse, elle sort en 1998 sous le nom officiel de "Air Max Plus TN." Vendue aux environs de 6.000 francs belges à l'époque (150 euros actuels mais... il y a 20 ans!), elle était la plus chère du Foot Locker... un signe de richesse ostentoire et étrange qui se voyait de très loin.

"C'est assez particulier ce qui s'est passé avec ce modèle," nous explique Romain (Le site de la sneaker). "La BW, par exemple, avait un peu la même image avant et puis elle est passée dans le patrimoine normal de la sneaker. La TN garde par contre encore aujourd'hui cette image de chaussure de 'racaille', à porter avec un survêtement Lacoste, ce genre de clichés. Nike essaie de sortir des nouveaux coloris mais les réactions sont toujours hyper tranchées: soit les gens détestent, soit c'est du génie. Par contre, c'est le cas en Belgique et en France mais pas partout. En Australie, elle a un énorme succès et certains coloris ne sortent que là-bas."
Editions limitées et bananagate
2013 signe le début d'un regain de popularité de la Air Max, le site de vente en ligne ASOS constatant par exemple une croissance de 320% des ventes par rapport à l'année précédente. Un "revival" à mettre en parallèle avec le retour de l'esthétique nineties en général et la culture sneakersdéfinitivement installée, avec en point d'orgue symbolique la créatrice de mode Phoebe Philo en Air Max à la fin de son défilé. "Et ceux qui ont grandi dans les années '90 peuvent maintenant se payer les paires qui les faisaient rêver plus jeunes...", ponctue Romain. 

La chaussure n'a de toutes façons jamais été abandonnée. Au contraire, constamment déclinés, les Air Max 1 surtout bénéficient dès 2002 de collaborations qui leur donneront une autre dimension. De la fin des années 90 au milieu des années 2.000 (de 99 à 2004 pour les plus précis), ce modèle vit pour beaucoup de "sneakerheads" son âge d'or, en alliant forme parfaite, matériaux innovants et, parfois, fantaisie colorée. "Beaucoup de mes paires sont sorties entre 96/97 et 2007," nous explique par exemple Myke Perso, plus gros collectionneur français de Air Max 1, 150 paires sous la semelle. "Il y avait les premières collaborations mais c'est surtout pour sa silhouette, qu'ils essaient de refaire maintenant d'ailleurs. Et puis c'était les premières paires un peu différentes, avant ça c'était toujours la même chose." Romain: "En 2007, il y a eu un changement d'usine, qui est passée de la Thaïlande au Vietnam. C'est le début du Banana Shape: la forme s'est allongée pour être plus pointue, quand, avant, le bout de la chaussure était beaucoup plus harmonieux."

La première collaboration date de 2002, sous l'impulsion du magasin Atmos, situé à Tokyo, pour créer de l'intérêt autour d'une Air Max 1 peu appréciée au Japon. Naît de cette collaboration la célèbre "Safari". La Air Max deviendra alors pour de bon un accessoire de mode et certains modèles des objets de convoitise rares et onéreux. Un laboratoire qui coûte cher mais permet des avancées technologiques et stylistiques quand la concurrence traîne la patte. Suivront des dizaines et des dizaines de collaborations, souvent produites à peu d'exemplaires, et de nombreuses rééditions plus ou moins identiques à la version originale, comme par exemple:
Collectionneurs
Une multiplication des coloris et des collaborations qui fait le plaisir des collectionneurs. "J'ai acheté ma première paire vers 25 ans. C'était une paire toute blanche en cuir, sortie quand j'avais 14 ans et qui me faisait baver. Je n'avais pas les moyens à l'époque mais quand ils les ont ressorties, j'ai pu me les offrir. C'est assez particulier, j'ai attendu 10 ans pour me la payer," sourit Myke Perso, 31 ans, évoluant dans un milieu professionnel totalement étranger aux baskets. "Et puis, je suis vite devenu accro. J'ai rencontré quelques collectionneurs, je me rendais dans les premiers événements sneakers, c'était une petite communauté à l'époque. Aujourd'hui ça s'élargit, certains peuvent le regretter mais finalement c'est positif, on ne reste pas dans notre microcosme. Avant, mes amis ne comprenaient pas ma passion pour les sneakers, maintenant beaucoup plus, et eux aussi cherchent des paires qui puissent les différencier."

En plus des versions originales devenues forcément rares avec le temps, des éditions (parfois très) limitées peuvent largement dépasser le millier d'euros à la revente, certaines ayant été produites à une poignée d'exemplaires. "Ma paire ultime, c'est la Albert Heijn mais elle n'existe pas dans ma taille... Il y a aussi la Proof mais il n'existe que huit paires dans le monde..." nous raconte Myke Perso, qui ne paye que rarement le prix fort mais peut quand même craquer, comme tout collectionneur, et lâcher 2.000 euros pour le modèle Patta x Parra Burgundy.
Anniversaire un peu gâché (mais il y a de l'espoir)
Pour fêter les 30 ans de la Air Max, Nike a durant tout le mois de mars proposé des nouveaux modèles et des rééditions, le plus souvent à un nombre d'exemplaires limités. Paradoxalement, la plus attendue était la version "OG" en rouge (et puis en bleu), se rapprochant du modèle original en s'appuyant sur la version "Urawa" de 2004. Une forme très précise, qui est sans doute la plus réussie, alliée à des couleurs originelles qu'on ne retrouve plus à prix décent. 

L'attente était donc grande, et la déception à la hauteur. Une poignée d'exemplaires disponibles (qui tournerait autour de 180 en France disponibles en ligne, par exemple), revendus à des prix ridicules quelques minutes plus tard. "La Master, je la trouve géniale. Et comme pour la Atmos, je peux comprendre que ce soit très limité. Mais par contre, je n'ai pas trop compris la distribution pour les OG. Ca a engendré beaucoup de frustrations dans la communauté. D'ailleurs, je n'ai pas réussi à les avoir. Aucune. J'ai dû passer par mes contacts après la sortie...", nous confirme Myke Perso. 

Et comme pour préparer l'acheteur frustré de manquer la version "OG", est arrivé le lot de consolation: la "Ultra 2.0", version revisitée qui ne convainc pas les vrais fans, à en croire les commentaires énervés sur les réseaux sociaux. Il faut dire que si, jadis, il fallait donner de sa personne pour mettre la main sur une paire rare, aujourd'hui tout cela sert surtout aux revendeurs qui font monter les enchères sur ebay. Un marketing de la pénurie surprenant pour le modèle le plus classique. "On peut comprendre que Nike joue sur le sentiment d'envie pour certains modèles mais là, c'est un modèle de consommation courante," nous confirme Le Site de la Sneaker. "Par contre, beaucoup de gens critiquent les revendeurs, qui recherchent le profit et ne sont pas des passionnés. Mais moi, je critiquerais encore davantage les gens prêts à payer des fortunes pour une paire qui vient à peine de sortir...," tranche Myke Perso.

Globalement, comme la plupart des amateurs, ce dernier est toutefois plutôt satisfait des 30 ans de la Air Max 1. "Jusqu'à cette année, c'était une catastrophe, tout le monde se plaignait de la shape. On dirait que Nike a entendu nos appels. Je n'avais rien acheté en 2016 et ces derniers mois, j'ai pris les Pinnacle, les Berry et pendant ce mois anniversaire, la Master et les deux OG. "
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