Quand il lâchait ses premières punchs, il y avait encore des francs. Ce n’est pas forcément un gage de qualité, mais quand on s’appelle Gandhi puis G.A.N, on marche depuis longtemps sur BX et la braise, à défaut de l’or. Avec la reconnaissance du public hip-hop, masculin et féminin, à défaut du reste. Son nouvel album s’appelle “Yin Yang” et oscille toujours entre le dur et le doux, le banger et le love. A coups d’images inattendues et de jeux avec le mot, le vrai fil rouge de sa déjà longue carrière.
Quand il lâchait ses premières punchs, il y avait encore des francs. Ce n’est pas forcément un gage de qualité, mais quand on s’appelle Gandhi puis G.A.N, on marche depuis longtemps sur BX et la braise, à défaut de l’or. Avec la reconnaissance du public hip-hop, masculin et féminin, à défaut du reste. Son nouvel album s’appelle “Yin Yang” et oscille toujours entre le dur et le doux, le banger et le love. A coups d’images inattendues et de jeux avec le mot, le vrai fil rouge de sa déjà longue carrière.
“J’rappelle à ces rappeurs qu’ils sont mes petits”, claironne G.A.N. dans “La Muerte”. Pur exercice egotrip, mais fondé: quand on demande ses influences locales à la nouvelle génération belge, la première qui a étendu son terrain de jeu à toute la francophonie, un nom revient: Gandhi. Devenu G.A.N. en 2016, le Bruxellois reste une référence. Des scènes par dizaines depuis ses débuts en 2006, une sérieuse “fanbase”, deux albums, cinq mixtapes et une Ancienne Belgique remplie en 2012, en totale indépendance. Un petit exploit à l’époque où le hip-hop belge était rare dans une salle de cette taille.
“Qu’on te cite comme influence, ça ne remplit pas le frigo mais ça fait plaisir,” précise un G.A.N souriant. “De ce point de vue là, je ne vais pas me plaindre. Après, là où il y a une anomalie, c’est dans la presse généraliste, qui découvre le rap belge maintenant, avec Damso, Roméo, Caba… L’histoire se résume à Benny B – Starflam – Roméo Elvis. Et entre tout ça, il n’y a rien eu? C’est ça, qui est dommage. Quand j’ai fait le concert à l’AB, c’était un petit truc historique et personne n’en parle. Cette reconnaissance par mes pairs, c’est bien mais j’espère aussi qu’on ne va pas s’arrêter à ça… que ma carrière ne s’arrêtera pas à c’était le mec qui n’a jamais été reconnu. Là, je l’aurais mauvaise.”
L’odeur de la muerte
Lui, en tout cas, ne s’arrête pas là. Épaulé en studio par Selecta Killa – DJ bien connu du dancehall belge, qu’on a déjà croisé sur le dernier album de Uman, aux platines de nombreuses soirées ou de l’émission radio Dancehall Station – le “projet” (c’est lui qui le dit) YinYang sent le brûlé: il a “l’odeur de la muerte”. Mais pas seulement. Habitué à naviguer entre les eaux troubles du rap dur et les cascades douces-amères de l’amour, G.A.N dit avoir cette fois trouvé le “juste équilibre” . 
“L’ambiance yin et yang ne se crée pas dans une seule chanson mais dans tout le projet. Les deux premiers titres sont très rap, j’en avais vraiment envie. Ca faisait plus d’un an que je n’avais rien sorti et j’étais vraiment dans le mood j’ai envie de rapper, ça va me faire du bien. Quand on a sorti En chair et en locks, on a vu la réaction des gens. Il y avait plein de ah enfin! On a enchaîné avec La Muerte et ensuite Toi ou personne, qui est vraiment à l’opposé de ces deux morceaux… En fait, au fur et à mesure de ma carrière, j’ai développé plusieurs facettes. Il y a le côté plus rap, dur, sombre parfois. Et un autre plus positif, plus ouvert, où je fais des chansons d’amour… ça fait vraiment partie de moi, ce sont des choses dont j’aime bien parler. Parce que dans la vie, c’est l’amour qui est présent dès le départ… et je trouve que dans le rap on n’en parlait pas assez, même si ça va mieux maintenant.”
Hors-tempo
Le précédent album de G.A.N, le bien nommé “Texte Symbole”, était presque entièrement tourné vers cette vie de trentenaire aux prises avec l’amour, sous toutes ses formes et issues. Sorti en mars 2016, il coïncide avec le tout début de la fameuse vague belge. Un peu trop tôt pour en profiter: les médias belges et français découvrent à peine la poignée de noms qui explosera quelques mois plus tard. Cet album était aussi le symbole du renouveau G.A.N, qui prenait la place du Gandhi star du rap bruxellois. Une image différente, un nouveau nom et un album (qui vieillit bien mais) au parti pris risqué.
“C’était sans doute trop de changements. Mon image, mon blase… c’était un virage dans ma carrière. Nécessaire, d’ailleurs. L’avenir nous dira si c’était un mal pour un bien. En tout cas, moi, j’avais besoin de ce changement là. Je me suis dit: je traîne Gandhi depuis un petit temps. Artistiquement, j’ai fait tout ce que je pouvais autour de ça. Maintenant, j’ai besoin de me donner d’autres ailes. Après, ce sera trop tard,” analyse le Bruxellois en chair et en locks. “Je n’ai jamais vraiment fait de pause mais les gens l’ont pris comme ça. C’était déjà la révolution il faut sortir des trucs tout le temps et moi je n’étais pas là. Ensuite, je suis revenu en G.A.N et je n’ai pas eu les retours que je voulais, clairement. J’étais sans doute hors-tempo. Le public était en mode trap, on s’en fout un peu de ce que tu racontes, il faut que ça rentre dedans, qu’on fasse des pogos en concert. Je n’étais pas du tout dans cette vibe là, j’étais dans un album plus intimiste. Mon public de base a aimé mais pour passer le plafond de verre, ce n’était pas l’album qu’il fallait, pas à ce moment là en tout cas.”
Public hors-tempo
Si “Texte Symbole” était hors-tempo en 2016, c’est le grand public francophone qui l’était les années précédentes, créant un “plafond de verre” pour nos artistes locaux coincés dans un marché trop petit. Pendant dix ans, Gandhi aura semé son parcours de classiques du rap belge, sorti un premier album “officiel” en 2010, et annoncé l’orage à suivre avec Scylla et les autres dans BX Vibes mais ni les médias dans leur ensemble, ni le grand public, ni les institutions culturelles ne prendront le relais pour cette génération “sacrifiée”. Il faudra attendre, pour résumer, un jeune public élevé au hip-hop, la validation française et l’avènement de réseaux sociaux qui abolissent les frontières et la nécessité de relais médiatiques pour que le rap belge trouve sa place. Laissant parfois sur le seuil ceux qui tentaient de passer par la fenêtre quand la porte d’entrée s’est enfin ouverte.
Mais c’est plus l’envie d’en être que l’amertume qui pousse le rappeur à continuer à prendre le micro. “Le fait que ça se passe bien au niveau du rap belge m’a vraiment donné envie. Je veux participer à la fête. Dans ma génération, on était à confronté à ce fameux plafond de verre qu’on n’arrivait pas à passer, sauf peut-être Scylla. Je ne dirais pas que c’était au niveau des choix artistiques, mais plutôt une question de bonne recette, avec le facteur internet en plus. La nouvelle génération est arrivée avec nos codes mais en y ajoutant les leurs, et ça a pris. Le succès d’artistes comme Damso a contribué au fait que le rap belge soit devenu hype.
Ça a ouvert des portes. Je suis allé le voir à Forest National, c’était rempli, il a fait sold-out. C’est quelque chose qu’on n’aurait jamais imaginé. C’est incroyable. Qu’un rappeur belge fasse Forest, attends… Et les gens connaissent les paroles, ça n’a plus rien à voir,” nous raconte G.A.N avant de répéter: “C’est incroyable. Quand t’es artiste et que tu vois ça, ça te donne la pêche. Tu te dis putain c’est possible! De faire aussi grand en étant Belge. Il est hors de question que je ne participe pas à l’histoire qui recommence maintenant. Mais pas dans l’idée et moi vous m’avez oublié? Ou je suis meilleur que vous. Même si en fait je pense que je suis meilleur qu’eux. C’est le jeu… mais pas que: si je n’avais rien à apporter, je ne dirais rien.”
1140 classiques à son actif
Né de parents congolais, après une enfance en France et un passage par l’Angleterre, les débuts de l’adolescent futur Gandhi se jouent à Evere, code postal 1140, émaillés par des épisodes difficiles, voire très violents, comme le meurtre de son cousin par sa soeur. Puis via le Kung-Fu Clan, ses “grands”, qui l’invitent à poser pour la première fois dans un studio où ils rappaient. Naîtra en 2006 le collectif Efeline We Be, avec Oeil de Chat (Profecy et Sinatra) et D’johnny Six. “On venait de là, c’était notre école. J’ai l’impression que les jeunes sont moins dans les bandes urbaines et tant mieux, parce que c’était vraiment chaud. Tu ne pouvais pas rapper et dire n’importe quoi. Il y avait des codes dans les textes. Moi j’en suis vite sorti et j’ai prôné l’unité dès mes premiers projets. En plus, j’avais un certain poids en portant ce nom, je n’allais pas dire n’importe quoi et inciter à la haine ou au rejet de l’autre. Le choix de Gandhi, ça avait clairement un lien avec ce que j’avais vécu avant. En tout cas, je ne voulais pas avoir un nom d’arme, de poison ou de maladie… c’était à la mode à l’époque, pour faire peur.”
Rapidement échappé en solo, la première mixtape “Les préliminaires” en 2008 l’impose déjà dans la ville, notamment grâce au hit mélancolico-underground aux teintes arabica “Affolant”, ou encore “Blood” avec un certain Despo Rutti. “Les balles perdues” l’assoit un peu plus l’année suivante, et en 2010 son premier album “Le Point G” voit Kery James invité pour un adoubement en bonne et dûe forme intitulé “G.A.N le mélancolique”. Mais c’est avec la mixtape “Univers Sale” qu’il explose en 2011, avec notamment “Ma femme” et “Erreur fatale” qui comptabilisent chacun plus de 500.000 vues sur Youtube. 2012 enchaîne avec “Hey Hey”, “Bang bang” ou le pressurisant “Bx m’écoute”. Suite logique, après la capitale, c’est en “Roi des Belges” qu’il revient en 2015 sur “Les balles perdues II”.
Des chansons qui parlent d’amour, souvent les plus plébiscitées notamment par un public plus féminin, côtoient la mélancolie ou l’egotrip. “En toute objectivité quand j’écoute La Muerte, je ne vois pas de gros changement,” abonde G.A.N. “J’ai toujours fait des morceaux egotrip où je dis des trucs à la limite du sale mais pas vraiment… Ceux qui disent c’était mieux avant, ce sont ceux qui m’ont connu avec Ma femme ou Erreur fatale et qui ne connaissent pas l’autre G.A.N. Mais je le prends plutôt bien. Ça veut dire qu’au moins à un moment, j’ai été bien. C’est l’essentiel.”
Paraît qu’on vend mieux quand le public est blanc
Mieux avant ou mieux tout le temps, c’est surtout l’industrie autour du rap qui a changé en deux ans. “J’ai cligné des yeux, je suis devenu un ancien”, peut-on entendre dans “Appelle-moi G.A.N”, le morceau qui résume sans doute le mieux la vie d’un rappeur belge. Elle s’est virtualisée aussi. Hormis les concerts, “plus difficiles qu’avant à trouver quand tu es indépendant”, on parle streaming Spotify, vues Youtube et abonnés Facebook. Un peu à contre-coeur, G.A.N fait d’ailleurs ses adieux au CD mais reste de “l’école de la plume”, même si il veut “des pogos et des basses qui sonnent bien”. Le public aussi a changé, résumé par un irrévocable “paraît qu’on vend mieux quand le public est blanc” dans “En chair et en locks”.
“Je ne sais pas comment l’expliquer. Mais je trouve ça chouette. Après, il y a un fait que je ne peux pas négliger, c’est que même moi, quand j’ai fait l’AB, je n’ai pas senti un énorme soutien communautaire. Tu sais, on aime bien être soutenu par sa communauté. Je l’ai été par les jeunes Zaïrois quand j’ai commencé, et ils sont venus à ce concert là. Mais pour les autres dates, je n’ai jamais eu l’impression que le public était très coloré. Maintenant que le rap est à la mode, je pense qu’il y a un truc exponentiel, qui fait que c’est plus visible. Je sais que même dans les maisons de disque, ça se dit. Que si tu veux viser un public qui consomme, c’est le public blanc adolescent. Parce qu’ils vont aux concerts, ils achètent des t-shirts, ils consomment la musique. Le problème, c’est surtout ceux qui ne consomment pas,” rit-il.
“Bon, ça fait partie du rap. Là où le bât blesse peut-être, c’est que quand tu écoutes du rap, tu aimes bien t’identifier. Plus le public est blanc, plus il pourra s’identifier aux rappeurs qui sont blancs. Mais si Damso y arrive, on peut y arriver aussi. Et puis on est Belgique, on n’est pas au Congo ou au Sénégal. Quand je dis ça, c’est que j’aimerais que les Noirs poussent un peu plus. Je reçois des messages qui me disent je me reconnais bien dans ce que tu fais etc… mais en concert, ils ne sont pas là. Il y en a, mais ils ne sont pas là comme ils devraient être.”
La bonne recette
Roi des Belges mais surtout des images qui jouent avec les mots, les expressions ou les sonorités, quitte à flirter avec le calembour (“ça doit être mon côté belge”), ce père de famille continue à écrire “tout le temps. Les gens pensent qu’écrire, c’est sur sa feuille ou son téléphone. C’est dans la tête… Quand j’ai enregistré une nouvelle chanson, ma journée est réussie. Ecrire sans rapper? Je pourrais mais j’aime trop ça. C’est la bonne recette: je suis aussi un showman et je travaille mon flow pour que ça reste actuel, en y ajoutant ma touche. Parce qu’à un moment, si tu reviens toujours avec le même flow, t’as beau raconter ce que tu veux, on ne t’écoute plus. C’est comme quand tu fais un discours. Si c’est ennuyeux, t’auras beau dire j’ai les clés pour changer le monde, ça passera inaperçu.”
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