Grande absente de la fameuse fournée discographique 2016, La Smala est revenue le 10 mai dernier avec "On avance seul". Senamo, membre du groupe, a lui sorti trois clips cette année. Fait nouveau pour ces rappeurs belges kickeurs en chef: des pouces rouges sur Youtube, des têtes trop tristes sur Facebook :.-( et pas mal de commentaires énervés au passage. En cause: un éloignement du boom bap classique sauce francophone pour aller s'amuser sur d'autres terrains de jeu. Est-il possible de "changer de style" dans le rap en français en 2017 ou les chapelles sont-elles encore fermées et hermétiques? Dis nous, Senamo, pourquoi tant de hate?
Oh non pas vous - Je m'attendais à une tuerie, mais la ça change trop de leur style et de ce qu'on a connu :/ - De la merde - C'est vos voix mais pas vous ... - J'ai honte pour eux .. la Belgique vient de perdre un groupe de rap ... - Le flow est bien, Mais c'est pas la smala qu'on connais - Wtf :poop: - c vraiment la fin de tout , tout le monde par en couille - Pourquoi vous essayez de suivre la mode à la pnl alors que vous avez toujours été au top ?- Meme pas écouté jusqu'au bout :( La smala, senamo , pour le coup c était mieux avant :( Dommage ! On finira par vous appeler SMA et SNO.. - Ils sont où vos putains de kicks et vos voix archi déter qui nous font péter des câbles jusqu'au bout de la soirée ?! -  J'écoutais la smala pcq c'était du bon son.. et là des voix bien degeu et trafiqué vous allez vous perdre comme Soprano :poop: - Pas terrible les gars, oubliez l'autotune lol.. - Je pense que tu vas gagné du public avec ces derniers son, mais t es en train de perdre les pures ce qui t aiment pour tes textes... je pense que tu veux faire plus d argent c est ton choix! Force à toi senamo! (sic)
Ci-dessus, un bref aperçu de fans déçus qui tiennent à le faire savoir, parmi les commentaires moins négatifs sur Youtube ou Facebook. Les réactions positives restent en effet bien supérieures et les "haineux" ont toujours été présents ou évoqués dans le hip-hop, servant même de moteur ou de prétexte à l'essentiel egotrip. D'autant plus avec l'explosion des réseaux sociaux, qui libèrent une parole plus agressive que dans la "vraie vie" et donnent de la visibilité à une conversation jadis réservée au cercle privé. Mais on a rarement vu autant de virulents "haters" prendre la parole (virtuelle) pour exprimer leur déception à la sortie d'un nouveau morceau de rap belge. A notre petite échelle évidemment, demandez donc à Kanye West ou Booba ce qu'ils en pensent.

La Smala, c'est quatre mixtapes, une rencontre déterminante avec Back In The Dayz qui les propulse sur le devant de la scène avec "Un murmure dans le vent" en 2014 puis "Un cri dans le silence" en 2015, une Ancienne Belgique par album, des fans donc, et du kickage sur boom bap avec une énergie à casser les tympans, les nuques ou la tête, selon les goûts. C'est aussi beaucoup de projets solos ou en duo, puis en 2016, premier gros coup de canif au contrat: Senamo s'aventure sur des chemins codéïnés avec Neshga pour "PLC" (leur projet commun "Sennes" deux ans plus tôt donnait pourtant des indices de changement dans l'air). Et puis en mai dernier, La Smala fait s'arracher des cheveux avec "On avance seul", et dans la foulée, Senamo en rajoute avec trois titres en solo.
Coupe propre et chemise bien repassée pour celui qui "a toujours aimé le style un peu mod. Et ça n'avait choqué personne quand j'ai changé de style d'ailleurs", Senamo a la voix aussi percutante que son flow, et aussi tranchante que son discours quand on lui demande pourquoi tant de haine.

T'as changé frère
"J'ai l'impression que certains aiment un artiste pour qu'il fasse tout le temps la même chose. Ils l'ont mis dans une case, ils se disent lui, quand je vais appuyer sur ce bouton-là, il va me donner tel produit mais jamais autre chose. C'est dommage que les gens se rattachent à quelque chose qu'ils aiment, et pas à un artiste complet. Je lis les commentaires et en soi, je trouve que c'est normal, mais ce qui me dérange vraiment c'est la petitesse d'esprit, quand la critique est réduite à un tes parents sont pas fiers de toi, des trucs sans aucun intérêt. Là, je n'ai même pas envie de rentrer dans un jeu de polémiques avec eux. Si tu joues au foot, tu n'as pas envie de faire toute ta vie la technique apprise à 12 ans."
Radical
Si certains rappeurs creusent le même sillon depuis leurs débuts pendant que d'autres ont fait évoluer leur musique, c'est peut-être la radicalité du changement qui interpelle ici. "Mais en fait même si tu regardes les volumes, il y avait déjà des trucs un peu ovni, ou chantés, des sons reggae ou hardcore. Ca allait dans tous les sens," nous explique Senamo. "Les gens nous ont catalogués. Ils ont entendu certains sons qui les ont séduits et on est devenu les représentants de ce genre, sans forcément le vouloir. Mais moi, ça fait quatre ans que je me bute à la trap. Evidemment, les gens ne voient pas ça. Pour eux, je suis absent un an et puis boum, j'arrive avec un univers complètement différent. C'est intuitif, je ne me suis pas dit: qu'est-ce que je vais pouvoir faire pour les choquer, et sortir un truc qu'il vont détester..."

Il faut dire aussi que la "fan base" de La Smala est aimante et expansive - ce qui était dans les années 2010 un sacré changement dans le public rap - mais aussi du genre possessive. "Ce serait beaucoup plus facile de faire des sons efficaces à la pelle, un peu conscients, avec un peu d'egotrip... mais est-ce que tu as envie de faire la même toile toute ta vie? Si dans trois ans je faisais encore du boom bap, je serais mort en tant qu'artiste... C'est fou que personne ne se dise: quand même, ils sont oufs, ils prennent des risques les gars, ils osent... ils pourraient rester dans leur petit confort à kicker ça, mais non, ils préfèrent se renouveler, quitte à se prendre des rateaux", poursuit Senamo. "Mon projet avec Seyté et Mani Deïz, Trois fois rien, a encore plus accentué notre image. Alors que pour moi, l'idée, c'était un peu la fermeture d'un livre de 10 ans de boom bap. C'était: j'ai fait le meilleur de ce que vous vouliez avec les meilleurs, maintenant je peux passer à autre chose."
Des réactions épidermiques encore plus violentes avec La Smala donc, censé être le dernier bastion contre ce diable de vocoder, rejeté d'office en bloc... alors, si "même eux" s'y mettent... "C'est dommage parce qu'on a fait le son de A à Z. Même la prod', c'est Rizzla. Il n'y a pas un petit diable qui nous a dit fais-ci, fais-ça. On était ultra contents de ce morceau et on l'est toujours. Ca nous a déçus d'offrir un morceau et un clip de qualité, gratuitement, et que des gens crachent dessus." 

Mais pas de quoi influencer la suite dans un sens ou l'autre... "On n'a jamais fait ça. C'est à ce moment-là qu'on commence à se travestir: ils n'ont pas aimé, allez ok, on va faire des trucs boom bap, on va kicker. Là, ce serait ouf. Tout est paradoxal, en fait. Et on ne se ferme pas non plus: il y a plein de prods dites classiques que j'aime bien, je kicke dessus et il y aura encore des sons comme ça. Ils ne m'auront pas non plus de ce côté là. De toutes façons, vu les réactions, je ne me sentais plus en adéquation avec cette partie là de mon public, c'est le contraire de la façon dont je pense, de l'ouverture d'esprit que je prône. Et c'est bien, des nouvelles personnes qui montent dans le bateau, même si d'autres en sortent. Après, peut-être que dans deux ans, je réécouterai ce que je fais maintenant et je me dirai que ça pue... mais j'aurai évolué, j'aurai appris pour devenir meilleur."

Wesh les puristes
Est-on pour autant forcément un "puriste" (nouveau gros mot à répondre au gros mot auto-tune) lorsqu'on n'accroche pas aux derniers titres de Senamo ou de La Smala? C'est ce que les débats binaires et jamais très subtils des réseaux sociaux voudraient nous faire croire, divisant le monde en deux catégories distinctes. "Non, un commentaire construit, ça n'entache pas mon travail, tu vois que c'est réfléchi, il n'est pas juste écrit c'est de la merde, il y a un débat à créer. Je sais que des gens qui nous écoutent depuis le début comprennent l'évolution, nous disent enfin vous faites autre chose, d'autres qui nous disent sorry les gars, ciao. Ce qui est un discours plutôt cool: fais ta vie, on se serre la main et basta. Et puis, il y a ceux qui sont ultra nazis... et là je pense que ce sont surtout des plus jeunes, aussi influencés par les commentaires qu'ils lisent ou entendent... Ou alors, ils sont décérébrés... Par exemple, certains disent il a régressé, alors qu'ils ne prennent pas le temps d'analyser, de comprendre les subtilités. Ils entendent un petit chant, un vocoder et ok c'est fini."
Textes et gimmicks
Si "On avance seul" est moins bavard, les derniers morceaux de Senamo semblent chercher l'équilibre, les fans peuvent peut-être se rassurer. "La technique d'écriture est différente mais j'essaie de changer le moins possible mon discours. Rose & Bleu, c'est ultra-textuel mais sur une autre sorte de prod'. J'essaie de garder un maximum cet aspect-là", confirme le Bruxellois, qui rappelle aussi indirectement que rapper fort, vite et beaucoup ne veut plus forcément dire "bien rapper". "Pour Partis de rien, ce qu'on a fait avec Caba, c'était intentionnel. Je voulais l'amener dans un truc qu'il n'avait jamais fait. On aime bien prendre des risques, se réinventer, que les gens soient surpris, sortent de leur confort. Je n'ai pas la prétention de dire qu'on l'a bien fait mais on a voulu le faire avec une intention pure. PLC, c'était le premier que j'avais fait dans ce genre-là et j'ai voulu réduire mes textes, être le moins technique possible, juste des gimmicks... et puis finalement je trouvais que ça ne me correspondait pas trop... mais j'aimais bien le flow que ça donnait. Après, la simplicité, c'est aussi un truc très dur à maîtriser, même si on ne s'en rend pas compte..."
Bébés punk
Si certains parlent d'un âge d'or révolu, le rap n'a sans doute jamais été aussi vivant et aventureux qu'aujourd'hui, avec de quoi satisfaire chacun à chaque moment de la journée. "Ce que j'aime vraiment dans le rap américain aujourd'hui, c'est leur énergie", poursuit Senamo. "C'est comme l'époque du punk. Il y a eu le rock qui commencait à se mordre la queue et puis le punk est arrivé et a chamboulé le truc, puis il a fait des petits bébés partout. Avec l'arrivée de la trap, c'est un peu pareil. Ca a décomplexé le truc, c'est pour ça que c'est beau. Je suis certain que des petits bébés vont arriver de partout, et c'est ce qui est déjà train de se passer. Il y a des mutations de fou, de l'un qui a fusionné avec un autre etc. C'est trop chaud, c'est maintenant que ça se passe et c'est vraiment cool d'en arriver là."

"Quand on a commencé, le rap c'était la zone. C'était 100 personnes qui bougent la tête avec du shit dans la main. Et ça, c'était pour un grand concert.... Il y a peut-être des gens qui sont nostalgiques d'une autre époque.... moi je suis comme un gamin qui découvre une nouvelle aire de jeu, c'est une cour de récré où tout est encore à découvrir..." Et que nous répétait-on à la cantine? Il faut toujours goûter avant de dire je n'aime pas.
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