Trois lettres squattent les réseaux sociaux, les pages musicales et les voitures: PNL. A priori du rap de rue mille fois entendu. Circonstance aggravante: l'abus d'auto-tune. Passé l'emballement et l'effet de surprise, tout cela est-il vraiment sérieux?
Des mois que le buzz chauffait comme la lame d'Ademo prêt à servir son ien-cli Hervé. Depuis la sortie de l'album "Le monde Chico", PNL est devenu le groupe de rap dont on parle le plus et partout, du Monde à Libération en passant par le britannique The Guardian, GQ, les médias musicaux généralistes ou spécialisés. Ces derniers faisaient monter la sauce depuis la sortie de QLF ("Que la famille"), le premier projet du duo (Ademo et N.O.S.) sorti en mars dernier. Au grand dam de certains, qui n'y voient qu'auto-tune, textes limités sur instrus limites et imagerie agressive quand les autres y trouvent un supplément d'âme et un air frais vocodé bienvenu dans le rap français. De mémoire de petit d'homme, on n'avait plus vu ça depuis les débuts de Booba en solo. Gros plan sur le cas PNL, en acronymes évidemment.
OMG
Oh My God. Plus de 10 millions de vues pour "Le monde ou rien" (tourné à La Scampia, dans la banlieue de Naples, qui a servi de décor à la série Gomorra), presque 6 pour "J'suis PNL" (tourné en Espagne). 130.000 fans Facebook, 51.000 abonnés Instagram, 18.000 followers Twitter. Un showcase bondé au Yoyo, temple de la hype parisienne. "Le monde Chico", sorti vendredi dernier, numéro un des ventes iTunes. 16.000 exemplaires écoulés après une semaine.

Depuis une semaine, des articles dans toute la presse, généraliste ou spécialisée, et des décryptages du "phénomène". Des médias largement positifs, quelques blogueurs énervés et des fans de la première heure méfiants face à tant d'engouement.

Pour un groupe dont, il y a à peine un an, seuls quelques morceaux faiblards traînaient sur internet, sans featuring si ce n'est les membres "de la famille", sans parrain dans le milieu du rap, sans producteur renommé et sans major (qui ont pourtant essayé de le signer), sans aucune interview accordée, PNL a frappé fort. Surtout pour des rappeurs claqués sans vocodeur.

En 2011, N.O.S. se donnait 365 jours pour percer. Ce sera un peu plus long mais de peu: les premiers articles élogieux mais encore confidentiels arrivent en juin dernier, suite à l'album QLF sorti en mars. Le même mois, le clip de "Le monde ou rien" commence son carton sur Youtube et le bouche à oreille prend de l'ampleur dans le microcosme rap et dans les quartiers pour aboutir à l'explosion "Le monde Chico".
WTF
What The Fuck. La rue, la drogue, la drogue, la rue, la misère, la rue, et sa mère aussi, souvent. Du vocoder, de l'auto-tune, des ouais ouais ouais ouais, hmmmm ouais, oh lala, non mais allô. Des images qui restent mais des textes déstructurés. Les gardiens du temple hip-hop renvoient PNL en rattrapage sur les bancs de l'école du micro d'argent. Des sacoches Louis Vuitton, des trainings blancs, des marques grillées et des cheveux (longs) gominés: Asap Rocky et Kanye West doivent en faire des cauchemars entre deux fashion weeks.

Mowgli, Simba, Rémi (sans famille), Nabilla, Vegeta, Tony (plus que Sosa), le Nutella, entre autres références régressives confortables, croisent un argot rude plus ou moins incompréhensible au plus on s'éloigne des quartiers et de la jeunesse. Et puis des onomatopées, acronymes ou abréviations parfois obscures. La musique planante, synthétique, est en retrait, simple, loin des grosses basses.

A priori, rien qui ne puisse justifier un tel emballement.
PNL
Peace N Lovés. La paix et les billets. Des objectifs partagés par beaucoup pour ces deux frères élevés par leur père, qui parlent d'histoires de cité, dans la plus pure tradition du rap français de rue. Mais du rap de rue français sauce américaine. 

Au lieu de jouer à "qui a la plus grosse", c'est la mélancolie qui prime. Le blues du dealer cynique qui "s'embête", qui s'ennuie, qui vit et vi-sser le sourire à l'envers, qui fait tout ça mais avec des remords. L'accent rocailleux et le spleen racailleux, certes les poches pleines, mais dans sa bulle, bulle, bulle, oh shit. Dans un rap français de rue souvent hostile à l'introspection, évoquer une fragilité, certes très virile, est encore rare. Pas aux Etats-Unis, où l'on parle depuis au moins 2013 de "emo-rap" et des "emo-thugs", entre les bandits sentimentaux au micro et Drake qui essuie ses larmes avec des dollars.

On peut aussi trouver des influences américaines (Asap Rocky, Future, Lil Durk, Young Thug, Chief Keef...) dans l'approche musicale, notamment dans la mouvance "cloud rap". Le rap des nuages, planant, vaporeux, tripant, cotonneux. Des instrus au ralenti, souvent minimalistes et expérimentales. Ca tombe bien, les frères de la cité des Tarterets, à Corbeil-Essonnes, adorent visiblement regarder vers le ciel, la bicrave triste.

Pour se calquer sur ces beats, N.O.S. et Ademo mettent en avant les voix, abusent de l'auto-tune et du vocoder. Mais avec une musicalité inédite en France, loin par exemple des refrains robotiques de Booba, plus pour souligner que pour cacher. La langue est bâtarde, tordue, détruite et reconstruite, coupée et répétée, ponctuée d'onomatopées (ounga ounga lala lala gala gala - liste non exhaustive) qui servent finalement l'alchimie musique-paroles. Là où l'anglais se marie à merveille avec la musique, le français a parfois plus de mal. PNL passe outre en s'inventant un langage et en s'inspirant des rappeurs américains déjà adeptes de ce genre de facéties lyricales.

Largement constitutifs de leur succès, les clips travaillés de PNL ont aussi fortifié leurs univers, fait de thèmes récurrents, d'une gestuelle et d'un vocabulaire propres, de beaucoup de misère en ballade.  Signe de succès, des détournements fleurissent déjà sur internet, mettant en scène Hervé le iencli ou la go du Vénézuela d'Ademo. Un univers d'ailleurs un peu mystérieux: pas de contact avec les médias et un manager qui ne veut pas se faire appeler "manager", relate Le Monde. Mais une stratégie médias à rebours qui fonctionne, doublée par une présence efficace sur les réseaux sociaux.
RLY?
Really? Sérieusement? PNL, le renouveau du rap français? En tout cas, on n'avait plus vu tel engouement depuis longtemps. Et peut-être plus connu de groupe français aussi "clivant" depuis que Booba s'est échappé en solo en 2002, quand les forums de rap se bagarraient sur son cas. Depuis, le duc de Boulogne est toujours là et Temps Mort est un classique qui a changé le visage du rap français, en bien ou en mal, c'est selon.

On peut parler de simple adaptation de ce qui se fait déjà outre-Atlantique mais ce serait faire l'impasse sur l'identité qu'a réussi à affirmer PNL. Réduire l'attrait pour PNL aux "bobos qui s'encanaillent" serait aussi mensonger: des quartiers aux rédactions parisiennes, des oreilles avides de découvertes aux écoles, le duo semble fasciner au-delà des clivages de la société. 

Coup de génie dans l'air du temps ou arnaque, les exégètes y trouveront de quoi débattre. Au-delà des analyses intellectuelles, l'effet est surtout hypnotique et physique. Bernard ne chantait-il pas que la musique est un cri qui vient de l'intérieur? En 2015, le rap crie apparemment gala gala.
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