Le rappeur et acteur Common a dévoilé vendredi un clip engagé contre les violences policières, en duo avec Stevie Wonder et avec James Brown en invité samplé. "Black America Again" s'ouvre sur les images de l'arrestation mortelle d'Alton Sterling avant un plaidoyer pour la paix sur fond de Black Lives Matter. Ce week-end, T.I. a lui sorti un EP inspiré par ce même mouvement. En juillet dernier, Jay-Z avait publié le titre "Spiritual", en réaction à la mort de deux hommes noirs aux Etats-Unis, tués par la police à un jour d'intervalle. De nombreux artistes hip-hop avaient aussi pris la parole sur les réseaux sociaux (BeyoncéDrakeJoey Badass...), dans les médias (Killer Mike) ou en chansons (Z-Ro & Mike DeanYoung Buck, ou encore Scarface). Alicia Keys avait de son côté  réuni de nombreuses stars qui énumèrent 23 raisons pour lesquelles des Noirs se sont fait tuer par des policiers. De quoi faire mentir les nostalgiques qui pensaient le rap engagé mort et rappeler les relations difficiles entre la musique et la maréchaussée. De Brassens à 2Pac en passant par les Clash (les titres évoqués sont regroupés dans la playlist sous l'article).​​​​​​​
Les brutalités policières et ses issues parfois dramatiques, l'oppression d'un gouvernement militaire ou d'un Etat ressenti comme "policier", l'injustice, des faits divers tragiques ou des "émeutes" ont donné naissance à des titres engagés. Textes volontiers provocateurs, excessifs ou politiques, subtils ou complotistes, violents ou (plus rarement) pacifistes, ils ont en tout cas le mérite de libérer la parole face au pouvoir, au badge ou au revolver. Certains regrettent des dérapages verbaux qui encourageraient à "casser du flic" voire pire, quand d'autres soulignent que c'est l'inverse, ces textes étant une réaction à des faits établis, et se félicitent aussi de leurs effets cathartiques. En tout cas, le fait est que la musique et la police vivent des relations compliquées depuis des dizaines d'années, surtout quand la question de racisme s'en mêle. Et si sur le terrain, rien ne semble changer, dans la musique non plus.
Multiplication des bavures
La semaine dernière, la ville de Charlotte en Caroline du Nord a été le théâtre d'affrontements entre manifestants et forces de l'ordre suite à la mort de Keith Lamont Scott, 43 ans, abattu par un policier également noir. La semaine précédente, dans l'Oklahoma, une policière a abattu d'une balle un Afro-Américain désarmé.

Le 5 juillet dernier, Alton Sterling (37 ans), vendeur de CD à la sauvette, a été abattu par la police de plusieurs balles à Baton Rouge (Louisianne). La scène est filmée. Le lendemain, dans le Minnesota, Philando Castile (32 ans) est abattu dans sa voiture par la police. Tout est diffusé sur Facebook Live par sa compagne, Diamond Reynolds. Le jeudi 7 juillet, des policiers sont tués à Dallas, en marge d'une manifestation contre ces violences policières, par un homme qui disait vouloir tuer des policiers blancs. 

Barack Obama dénonce alors un "grave problème" rongeant l'Amérique, qui a vécu "trop de fois des tragédies comme celles-ci", et appelle la police à entreprendre des réformes. Hillary Clinton déclare sur Twitter que "trop de familles noires sont en deuil. Trop de jeunes hommes et femmes noirs nous ont été enlevés". Beyoncé dénonce aussi: "Arrêtez de nous tuer". D'autres stars du hip-hop, c'est-à-dire la pop d'aujourd'hui, lui emboîtent le pas. 

C'est loin d'être la première fois que des artistes se hissent contre les violences policières et raciales, parfois avec une véhémence qui prend une ampleur différente depuis l'assassinat des policiers à Dallas, mais avec des propos qui restent dramatiquement d'actualité, surtout aux Etats-Unis.
Fuck Tha Police
Et en première ligne de la voix de la colère, le rap américain. Si la soul appelait à plus de paix via des artistes comme Marvin Gaye ou Curtis Mayfield, la fin des années '80 verra l'avènement d'un hip-hop revanchard nettement plus énervé. 

Aux Etats-Unis, parallèlement à l'explosion des gangs et du crack dans les quartiers pauvres, les relations avec la police se font de plus en plus brutales, les excès plus réguliers et les bavures fréquentes. La minorité noire est remontée et N.W.A. s'empare du mégaphone pour crier un "Fuck Tha Police" qui effraiera l'Amérique blanche en 1988. Ice Cube en remettra une couche deux ans plus tard avec "Endangered Species", dont on retiendra un passage encore malheureusement d'actualité 26 ans plus tard: "Every cop killer goes ignored. They just send another nigger to the morgue."

Un morceau qui avait été enregistré avec Chuck D, de Public Enemy, versant plus politique du hip-hop. Qui livrera la même année, via Flavor Flav cette fois, "911 is a Joke", dénonçant le manque de réponse des services de secours dans les quartiers noirs à l'époque.

Plus subtil mais pas moins revendicatif, le groupe Main Source compare en 1991 les brutalités policères au baseball, l'un des sports favoris des Etats-Unis: "But they shot him in his face sayin he was tryin to steal a base. And people watch the news for coverage on the game."
Rodney King
Los Angeles, 1992: un jury, composé presque exclusivement de Blancs acquitte quatre policiers qui ont tabassé un an plus tôt Rodney King, un Noir américain de 26 ans en excès de vitesse qui tentait de fuir. Cette décision entraînera six jours d'émeutes sans précédent à Los Angeles, puis dans d'autres villes du pays, et feront plus de 50 morts et 2.300 blessés. Rodney King deviendra le symbole des violences policières.

Les rappeurs s'en emparent pour porter la cause de la communauté afro-américaine. Radical, Tupac appelle en '93 à l'action façon Black Panther (dont a fait partie sa mère) et à oublier les mouvements non-violents: "I guess cause I'm black born I'm supposed to say peace, sing songs, and get capped on. But it's time for a new plan. (...) To my homies on the block gettin dropped by cops".

Quelques années plus tard dans "Crooked Nigga Too", il blâmera encore la police et les jugements de valeur différents entre policiers et noirs du ghetto "See it's cool to shoot a nigga. But they hate it when we pop the cops". En réaction à l'affaire Rodney King, le groupe UGK commence lui de manière sarcastique sur son "Protect and serve" avant de finir de manière très brutale.
Assassin de la police?
KRS-One, lui, évoque le "sound of da police", gimmick immortalisé côté francophone en 1995 par Cut Killer dans le film "La Haine", qui trahira longtemps des milliers d'oreilles persuadées d'entendre "assassin de la police." 

Mos Def traitera le problème racial sous un autre angle en 1999 avec "Mr Nigga", évoquant le cas d'un homme noir certes riche mais toujours ramené aux stéréotypes raciaux, surtout avec la police. "One problem, even with the 0s on his check, the po-po stop him and show no respect. Is there a problem officer? Damn straight, it's called race". L'année suivante, Dead Prez appelle à la révolution contre l'état policier "organisé" contre le peuple afro-américain avant un "Fuck The Police" mythique signé J. Dilla et un début de décennie plus dansant, version Jay-Z et T.I notamment.
Run The Jewels et Kendrick Lamar
Souvent reprise durant les émeutes de Ferguson en 2014, le "Fuck The Police" de Lil'Boosie, devenu Boosie Badazz, renoue avec les discours plus nerveux. Killer Mike prend le relais du versant politique, avec notamment "Don't Die", dans lequel il démontre, en 2012, le manque de changements depuis les années '80 et cela, même si son propre père est policier. Preuve, s'il en fallait, qu'on peut dénoncer des abus policiers sans en vouloir à chaque uniforme. Ou comme un autre fils de flic le disait, "niquer la police, sauf papa bien sûr."

Deux ans plus tard, avec son acolyte El-P pour Run The Jewels, ils clipperont leur "Close Your Eyes (and Count to Fuck)" en mettant en scène un policier blanc et un jeune noir s'affrontant sans fin. En 2015, c'est le titre "Alright" de Kendrick Lamar, qui devient l'hymne non-officiel du mouvement "Black Live Matters", né en réaction à la multiplication des bavures policières.
Mort aux vaches
Zach De la Rocha était présent sur le titre de Run The Jewels évoqué plus haut et surtout le leader de Rage Against The Machine, groupe engagé et anti-tout ce qui représente le pouvoir. Le féroce "Killing In The Name" (1992) a ainsi été écrit suite à l'affaire Rodney King. 

Au rayon rock, les Clash, évoquent régulièrement les violences policières. Dès 1977, en reprenant l'emblématique "Police and Thieves" de Junior Marvin. Ou encore en 1979, avec"Guns Of Brixton", qui évoque les rapports tendus entre habitants et policiers dans ce quartier de Londres. De violentes émeutes s'y dérouleront d'ailleurs deux ans plus tard.

Le reggae, le ragga et l'afro-beat ont également leur lot d'hymnes anti-police ou militaires, en grand nombre, tout comme évidemment le rap français. Assassin pour le politique "Etat assassine" et le culte "la justice nique sa mère" dans "Je glisse". 

La Rumeur, plus finement, dénonce les violences policières, y compris via un texte argumenté qui leur vaudra un procès (gagné) de huit ans à partir de 2002, intenté par le ministre de l'Intérieur de l'époque Nicolas Sarkozy. On peut aussi se souvenir de la compilation "Police" en 1997, des outrances potaches du Ministère A.M.E.R. et, au niveau belge, des "Gens d'Armes" en 1998, faisant suite à l'affaire Semira Adamu

Comme d'autres avant eux, sans que cela choque autant aujourd'hui... "L'Hexagone" de Renaud et son "pays de flics" qui "pour faire régner l'ordre public, assassinent impunément" ou encore Brassens l'anar' se réjouissant de "l'hécatombe la plus belle de tous les temps", ces "vaches" à qui l'on "voulait couper les choses, heureusement ils n'en avaient pas."
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