© Loïc Struys
Ils font figure de pionniers pour les uns, d'impostures pour les autres, voire les deux à la fois. Les Benny B - comme on les appelait en France - semblent en tout cas immortels et peuvent revendiquer la popularisation d'une culture alors méconnue du grand public, juste avant ou pendant (c'est selon) l'arrivée d'un rap moins festif. Disparu presqu'aussi vite qu'il est apparu, le crew a vécu plusieurs vies, comme son leader, acteur, parmi d'autres, de l'avènement du hip-hop US dans les rues de Bruxelles au milieu des années 80, propulsé sur le devant de la scène et confronté à la folie d'un monde devenu fou à chacune de ses apparitions. Pur produit commercial ou véritable précurseur francophone d'un style de vie et de musique version année zéro, Benny B revendique sa place dans l'histoire du rap francophone sans se considérer comme une pièce de musée. Croisé au Bozar lors du vernissage de l'expo YO consacrée à l'histoire du hip-hop bruxellois, où il occupe une place de choix, nous avons sauté sur l'occasion pour évoquer passé, présent et futur. Rencontre "50% rap, 50% commerciale, 100% authentique".
Le discours n'a pas changé, comme les gimmicks de ses refrains entêtants ancrés dans les mémoires. Rien. Hormis le fait d'avoir été englouti par le rap français et victime d'une lassitude après trois ans de tournée au milieu des années nonante, Benny B est toujours bel et bien présent. Dans les concerts revival nostalgiques et lors de rétrospectives sur le rap francophone. 

Mais Benny B est surtout une espèce de Madeleine de Proust pour la génération récemment nommée "xennial". Quoiqu'on en pense, on ne touche pas à Benny B, grand bonhomme sympathique et joyeux de la variété belge, version casquette jean basket d'Adamo ou du Grand Jojo. S'il a disparu des bacs au milieu des années '90, en même temps que le trio qu'il formait avec Daddy K et Perfect, il demeure actuel. 

Copier-coller
Car, oui, 27 ans après, Abdel Hamid Gharbaoui enchaîne les interviews, au point d'en perdre la notion de temps et du nombre. Heureusement, son fils aîné, 14 ans, présent à ses côtés lors de notre rencontre, est là pour remettre les pendules à l'heure et le calendrier dans le bon ordre. "Je vieillis", sourit le paternel de 48 ans, casquette vissée sur la tête, comme à la grande époque. "Dès que tu parles du rap ou du hip-hop en Belgique, même si ce n'est pas le sujet, on dévie toujours sur moi, explique-t-il pour justifier cet intérêt médiatique continu. En fait, c'est chaque fois la même chose: mes débuts, mes endroits phares. Avec l'exposition Yo, on m'appelle pour retracer l'histoire du rap et du hip-hop belge." 

Volubile et disponible, Benny B s'amuse à ressasser (parfois de façon approximative) les mêmes rengaines au fil des interviews accordées aux chaînes belges ou françaises, voire sur d'improbables plateformes. "J'ai l'amour de ce que je fais, j'ai toujours défendu ce que je faisais. Je tiens toujours le même discours; ce que vous allez écrire, vous auriez pu faire un copier-coller de n'importe quoi, je ne change pas un mot. C'est ce que je suis vraiment."
Plus de 27 ans après "Mais vous êtes fous!", le Belgo-marocain surfe sur un succès loin d'être suranné, en témoignent les nombreuses tournées "Star 90" ou sa prochaine apparition à Marbehan, avec ses acolytes historiques. 

Certes, l'époque des jets privés avec Bruel et Cabrel ou des repas avec Schwarzenegger est révolue, mais l'intéressé s'en moque. "En 2005, on est venu me rechercher en me disant: C'est le revival 90, les gens sont nostalgiques, on veut réécouter du Benny B." Une présence aux côtés de stars d'antan comme Larusso, Yannick ou Worlds Apart, à l'arrière-goût de réchauffé, même s'il s'en défend. 

Strass et dürüm
"On me demande souvent: Vous n'êtes pas fatigué de faire toujours la même chanson? Je réponds toujours non, parce que les gens ne se rendent pas compte d'où je viens, de ce qu'aurait pu être ma vie. Quand je regarde tous ceux qui m'entourent, je me rends compte de la chance que j'ai eue. Aujourd'hui, je vis dans deux mondes. Un monde normal, où je côtoie mes enfants, des gens normaux, avec des relations normales. Et le week-end, je m'envole: strass et paillettes. Je me produis sur scène, devant 5 à 6.000 personnes. C'est la folie! Et puis, je redescends, je vais manger un dürüm". 

Comme à l'époque déjà, où entre deux concerts plein à craquer, il revenait dans cette taverne à consonance scandinave où il nous a donné rendez-vous, à deux pas de la basilique de Koekelberg terrain d'expression de ses débuts.
"Quand j'ai commencé à chanter, quand on rentrait en Belgique, pour le peu de temps qu'on passait à Bruxelles, je voulais voir mes potes, on se retrouvait ici. À l'époque, c'était ouvert 24h/24. Quand on voulait manger un steak, que j'avais faim parce qu'on était sorti jusqu'à 5-6h du matin, avant de rentrer à la maison, on passait par ici. On se prenait des tables à sept, huit et on mangeait des trucs de fou. C'était un endroit branché à l'époque. À la base, c'était un tea-room, puis après, ça a été une mode où tous les jeunes venaient. Et puis c'est redevenu le petit tea-room comme avant." 

Le regard des gens aussi a changé: les mouvements de foule à la rue Neuve ou lors d'un concert de MC Hammer ont laissé place aux clins d'œil courtois d'un public curieux mais respectueux. "Aujourd'hui encore, j'étais en voiture, elle n'est pas lavée, les carreaux sont sales. Malgré ça, les gens m'ont reconnu, m'ont fait signe. Barbu, gros, je ne sais pas comment ils font. Ce n'est plus l'hystérie non plus, mais c'est agréable. Les gens me disent tu as bercé mon enfance. Alors, ça me fait rire parce que j'ai l'impression d'avoir bercé l'enfance de tout le monde (rires). Ce sont toujours des beaux messages. Ou bien on me dit: ouais, ma mère te connaît! Cela m'a inspiré un slogan: 30 ans que je suis là, même ta mère me connaît." 

L'école de l'équilibre
Ses parents à lui, originaires du Maroc, étaient heureux de son succès. Issu d'une famille de cinq frères et trois soeurs, il quitte l'école à 18 ans un vendredi, se fait engager chez Côte d'Or le lundi suivant, et puis trouve la route du succès et de "L'école des fans", l'émission familiale du dimanche. Avec son premier cachet, il leur achète une maison en périphérie bruxelloise. "Je l'avais promis quand j'étais jeune. On a quitté Molenbeek pour aller à Wemmel, mon père était fier. Comme quand je l'ai fait partir au Maroc, juste lui et ma mère, dans une Mercedes coupé. On avait toujours connu la grande camionnette, à dix, avec les bagages, avec les trucs, les rideaux... le cliché."

Dans un univers égocentrique où la popularité fait perdre la tête comme les repères, Benny B aurait pu exploser en plein vol. À l'inverse, et "pour ça, il remercie son éducation", il s'est retiré comme il est arrivé, presque naturellement. Comme si sa popularité n'avait été qu'une parenthèse. 

"Pourquoi un artiste n'aurait pas le droit de se dire: tiens j'ai envie d'arrêter, j'ai envie de faire deux beaux enfants? Il y a autre chose dans la vie. Tout de suite, si tu ne fais plus rien ou que ça ne marche plus, c'est la traversée du désert. C'était juste un moyen d'expression, une musique. Heureusement, aujourd'hui, plein de gens ont compris, même si d'autres ne le comprennent toujours pas. Mais moi, j'ai très, très bien vécu le non-succès. Je n'en ai pas besoin, je tourne beaucoup avec mes anciens titres. J'ai fait tous les Zenith de France et j'ai fait "Sept à Huit" 27 ans après la sortie de mon single (21: l'émission est passée en 2011, ndlr). Aujourd'hui, je n'ai pas la force et la prétention de m'aligner avec les artistes actuels. J'ai réussi, grâce à Dieu, mon image est propre, clean, je ne suis pas victime de clash. On me respecte. Pourquoi je vais aller bousiller ça? Je prendrais plus de risque à essayer de faire une tentative qu'à tourner dans un Premier Baiser." Comme à une certaine époque.
La rumeur
Benny B n'est pourtant pas resté inactif niveau musical. Ponctuellement, il a alimenté la Toile de titres assez improbables, comme "Je suis dans la place" ou "Révolution". Deux bides qui "ne devaient pas sortir normalement". "Disons que j'ai fait quelque chose pour dire que j'étais là. Ça marche ou pas, ce n'est pas grave", relativise-t-il avec un détachement attachant, déjà affiché face aux nombreuses rumeurs dont il a fait l'objet quand on ne le voyait plus à la télévision.

"J'ai dû expliquer à des collègues qui me demandaient qu'est-ce que tu fais là? Mais pourquoi je ne serais pas là? Et si tu trouves que ce n'est pas normal que je sois là, ou que c'est dégradant, ça veut dire que pour toi, ton métier est dégradant. C'est fou la réaction des gens: dans le milieu artistique, tu ne chantes plus, t'es mort. J'ai bossé six ans pour Virgin et six ans pour Brussels Airlines en tant que manager des chauffeurs, mais ça n'intéresse personne, on préfère m'imaginer en bagagiste. Je n'ai jamais cherché à démentir. Pourquoi? Si je le fais, je dénigre cette profession. On m'a pris aussi pour un physionomiste d'une boîte réputée de Bruxelles, où bosse l'un de mes frères. Quand j'étais en Belgique, j'allais le voir et comme je restais tout le temps à côté de lui, on a cru que j'étais physio. Tout ce que j'ai fait a eu une finalisation, je n'ai pas eu de temps mort. Je n'étais pas au chômage, au CPAS, ou dans la rue. Et ce que je vis maintenant, c'est aussi bien qu'avant, si pas mieux."
Finalement, Benny B a toujours dû se confronter aux commentaires malveillants. Depuis le début de sa notoriété, par le bouche à oreille aussi efficace qu'un réseau social virtuel actuel. Comme dans ce reportage de la RTBF en 1990, où il explique que certains disent que il aurait été "arrêté menottes aux poings avec du shit alors qu'on ne fume pas, on ne boit pas..." Ou quand on le taxe de jouet de producteurs en quête d'argent. "Je me serais fait voler, sucrer... C'était tendance dans les années 90'.... Mon producteur a fait son taf, j'ai fait le mien. C'est grâce à lui que j'y suis arrivé. Quand bien même il se serait acheté un château, il l'a fait avec son argent, c'est son droit. Moi, ce que j'ai reçu, c'est ce que je devais recevoir, je suis auteur de mes textes... Après, il a peut-être pris 1, 2, 3% en plus, tant que je ne le sais pas, et même si je le savais, je m'en fous."
Poignards
Des rumeurs lancées par d'anciens camarades? Benny n'oserait pas l'affirmer mais y pense parfois. Parce qu'il en a agacé plus d'un, en s'envolant vers les plateaux télé. "Deux fois, je les poignarde, nous explique le Bruxellois. De un, je leur pique la place. Et de deux, je prends Daddy K, le DJ de tout le monde à l'époque..." Parce que dès le début, le danseur/rappeur est présent, travaille ses chorégraphies dans les "stations Belgica ou Pannenhuis, pendant des heures", ou sur les premiers spots hip-hop de la capitale, comme à la basilique de Koekelberg: "les breakers venaient s'entraîner là, parce qu'il y a de la pierre bleue. C'est aussi là qu'il y a eu les plus gros battles, dont un historique. Un monde de fou, venu de toutes les communes. Les gens ont même cru qu'il y avait une vraie bagarre, la police a débarqué et tous les jeunes se sont mis à courir dans le parc. Je m'en souviens, j'ai couru avec."

"C'était après la sortie du film Break Street 84, poursuit le rappeur, ça nous a mis une bombe dans la tête. Quand ce film est sorti, on touchait du bout des doigts les Etats-Unis alors que chez nous, il ne se passait rien, surtout pour les jeunes. On faisait des barbecues derrière la basilique, cartons par terre, on avait l'impression d'être aux States."
Classez-moi dans la varièt'
Arrive 1989, "une époque où il n'y a pas de téléréalité, pas d'indé, rien". Benny B apprend à la dernière minute qu'un casting est organisé par la radio bruxelloise TOP FM. On cherche un groupe de rap, ce genre qui commence à faire parler. "Perfect m'apprend qu'il y a un casting. J'étais à la maison, à Molenbeek, quartier Maritime et je dois aller à De Brouckère. Tout le monde est au courant sauf moi, alors que tous les jours on se réunissait ... mais qui allait me prévenir? Quand tu as dix rats qui doivent se partager un fromage, quel est le rat assez con pour aller prévenir le 11e? C'était la rue, on était tous fils d'ouvriers, c'était légitime. Bref... j'embarque mes vinyls et je pars en courant. Je tombe sur Michel Brunelli (homme de médias et producteur, ndlr) qui me connaissait déjà, et Olivier Verhaeghe (producteur) qui est sur le point de partir. Il avait déjà entendu tous les autres. Finalement, il me dit: t'es celui qui a la meilleure diction. Et ça commence. Moi, je viens de la rue, je ne connais rien. Je suis un mec à qui on demande: tu veux faire un single? Ca passera à la radio. Oui, je veux!"

Dès le départ, les membres du groupe l'acceptent: pour toucher le plus de monde possible, il va falloir faire des concessions musicales. Ce qui fera rentrer le rap et le break dans tous les salons, quitte à passer pour un phénomène de foire caricatural, et popularisera le scratch, omniprésent dans leurs chansons. "On n'a pas sali l'image du hip-hop... et je suis un des premiers jeunes arabes à aller à la télé française," souligne Benny. Mais pour cela, il faudra y injecter une bonne dose de dance, et prendre exemple sur des groupes comme Technotronic, un parti pris totalement assumé: "Ils m'ont dit: Est-ce que t'es prêt à mettre de l'eau dans ton vin? J'étais d'accord. Mes paroles leur plaisaient mais on a dû couper mon texte, il était interminable." Beaucoup de gimmicks aussi, marque de fabrique de la maison, et par-dessus les boucles funky, de la musique "commerciale". "Ce terme était souvent utilisé par des jaloux, parce que finalement, on est en Belgique, pays pionnier de la techno, de la house, de la new beat... On suivait juste ce qui nous influençait. Mais quand je rappais mon texte dans la rue en 86-87, c'était sur du Public Enemy (...) On me caricature toujours en me comparant avec un rappeur d'aujourd'hui mais si on prend ceux d'avant et qu'on les compare avec moi... on avait  tous les codes mais on était tellement en avance que tout le monde a cru que c'était le look Benny B."
Les codes vestimentaires à coup sûr, très importants pour Benny B, mais la recherche du succès ("ça n'a pas de prix") et l'amour de la musique qui fait danser passent au-dessus d'un hip-hop encore plus rigide à l'époque. "Je n'ai pas fait du rap ma religion, contrairement à d'autres. C'est une musique avec laquelle je pouvais gagner de l'argent. De toutes façons, j'étais à un stade où je n'avais aucune reconnaissance: ni du milieu hip-hop, ni des rappeurs belges ou français. J'avais fait ce que j'avais fait, et je devais tout à ma bonne étoile et surtout à mon public, qui était large, de 7 à 77 ans."

Plus fort que jamais
S'il chantait jadis que c'était du rap français plus fort que jamais, il tient d'ailleurs, assez justement, à souligner aujourd'hui une différence: "Moi, je suis un pionnier du rap EN français. Le rap français est né après, et se différencie par des noms francophones, un autre look, des autres sons. Nous, on faisait ce que faisaient les Américains. Même notre nom: c'était Benny B featuring DJ Daddy K. Beaucoup de gens pensaient que featuring, c'était Perfect... La pochette est à l'américaine, on est le premier groupe sponsorisé  par Nike, Reebok, Adidas... On est les premiers à avoir été commercialisés, premier disque d'or, premier à faire l'Olympia, premier à faire un slow en rap francophone..."
Yéyeah
Un slow entièrement pompé sur LL Cool J... "Bien sûr, Dis-moi bébé, c'est le I need Love que j'adorais. Des "adaptations", comme à l'époque des Yéyé avec le rock anglo-saxon, encore plus claires sur le deuxième album avec des titres comme "Est-ce que je peux" ("Can I kick it") ou "10, 9, 8".. et qu'il revendique, aussi. "Mais n'est-ce pas la preuve irréfutable qu'on était hip-hop et qu'on venait de là? Aujourd'hui encore, que font les rappeurs? Soit il copient un autre rappeur, soit un autre son. Comment veux-tu, dans les années 80-90, que je ne reprenne pas O.P.P., qui était pour moi un son révolutionnaire? C'est bien la preuve que je faisais du rap en français en imitant les Américains. 10, 9, 8 a été respecté parce qu'on retrouvait ces repères: on l'a bien fait, bien écrit, bien rappé. Je voulais démontrer après Vous êtes fous! que si on voulait critiquer, on critiquait également ce que j'écoutais. Comment critiquer 10, 9, 8 alors que c'était Naughty by Nature? En fait, je reproduisais ce dont on était fans."

Benny B finit par prendre tellement de place, en Belgique comme en France, que ces critiques se multiplient, auxquelles ils répondent avec "Parce qu'on est jeunes". "C'est le premier clash. Les critiques devenaient trop envahissantes, c'était une petite réponse à tout le monde. Je voulais dire: je suis encore là, je fais ce que j'aime et personne ne va m'en empêcher. Et j'irai même encore plus loin (...) En 1991, on est à l'apogée, on fait plein de télés, donc les autres ont du mal à percer. Que font NTM quand ils arrivent? Ils nous clashent. Et ça devient une mode. On a dit: Benny B c'est un truc pour faire rire. Or, tout était hip hop, sauf la musique. Et on a retenu que ça... Mais il faut recontextualiser: si tu écoutes les paroles, j'ai dit des choses dans mes chansons, j'ai raconté ma vie, peut-être avec un niveau de vocabulaire limité... mais c'était le marqueur d'une époque, d'un quartier, d'une origine, de nos fréquentations. Et je peux me regarder dans un miroir, et mon fils dans les yeux. Il n'y a rien. Je n'aurais jamais pu rentrer chez mes parents avec des  textes nique ta mère. Je ne supporte pas qu'on me dise quoi faire, un peu comme Marty dans Retour vers le Futur, quand on lui lâche mauviette et qu'il se retourne. (rires) J'ai vu des gens bloqués par la peur des critiques. Je ne comprends pas. T'aimes pas, n'écoute pas, mais laisse le chanter. C'est commercial, et alors?"

Oh la la
Après trois années intenses de tournée, les ventes chutent, le public se tourne vers d'autres têtes de gondole, les envies divergent, le groupe se sépare à l'amiable. Daddy K sort "Voulez-vous coucher avec moi" avec la même équipe, Benny B "Oh la la" avec les producteurs de Confetti's et profite quelques années de l'argent gagné. "Et après ça, je rencontre la mère de mes enfants. Si je n'avais pas arrêté, je ne l'aurais sans doute pas rencontrée et je n'aurais pas deux enfants magnifiques. Tout ce qui s'est passé est positif. Le succès, ce n'est pas que la musique, c'est la suite, j'ai réussi dans ma vie."
Yo!
27 ans plus tard, Benny B est toujours là, même si il n'a pas produit de jeunes après lui et qu'il tourne avec les mêmes chansons. Daddy K fait danser toujours plus de monde. Perfect a choisi une voie professionnelle plus classique mais accompagne parfois le rappeur sur scène. Parlez de Benny B à un enfant des années '80 et vous lui donnerez le sourire, le même que le rappeur quand il se prête aujourd'hui au jeu des selfies. Dans la série "Les six naissances du rap belge", nous rappelions que Benny B était un pionnier, qu'il était là dès le début. Nous disions aussi que "Vous êtes fous!" était le péché originel du genre: trop gros trop tôt, trop de gadgets, trop de gimmicks, trop de médiatisation, trop d'ombre trop longtemps sur le reste de la scène. Une contre-culture naissante déjà avalée par la variété. Un chewing-gum à la fraise qui colle aux semelles des Air Max usées, mais encore plus à cause de l'image caricaturale dessinée, notamment par la France, alors encore très amoureuse des blagues belges. 

Rangé dans le rayon étoile filante comme la new beat, le rap aussi est toujours là 27 ans plus tard. Il prend même plus de place que les autres musiques, "et tout le monde fait du commercial maintenant. J'avais raison, j'ai toujours tenu le même discours: 50% commercial, 50% hip-hop, mais 100% authentique". Cet été, le hip-hop belge prend aussi pour la première fois ses quartiers à l'institutionnel Bozar pour l'exposition YO. Et dans la plupart des reportages qui en parlent, c'est Benny B qui prend encore le dessus. Ironique: "yo", c'est aussi le titre d'un long documentaire à la gloire des Benny B réalisé en 1991. Il faut d'ailleurs revoir "Yo!" pour constater la cohérence et l'équilibre affiché par Benny B, au discours inchangé, qu'on y adhère ou non. Et toujours cette même impression de savourer ce qui lui arrive. 

A la fin de notre rencontre, alors que l'on finit presque par oublier qu'il s'agit de l'icône populaire Benny B en face de nous, un corbeau se charge de nous le rappeler en sifflant ce qui ressemble à un bruyant Benniiiiii. Si mêmes les oiseaux le connaissent, on n'a pas fini d'en entendre parler.
Vincent Schmitz & Loïc Struys
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